Mon rêve familier
"Mon rêve familier"
Paul Verlaine
Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime
Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend.
Car elle me comprend, et mon coeur, transparent
Pour elle seule, hélas ! cesse d'être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blème,
Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.
Est-elle brune, blonde ou rousse ? - Je l'ignore.
Son nom ? Je me souviens qu'il est doux et sonore
Comme ceux des aimés que la vie exila.
Son regard est pareil au regard des statues,
Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L'inflexion des voix chères qui se sont tues.
Paul Verlaine, Poèmes saturniens, 1866
Commentaires :
Le poème est un sonnet divisé en 2 quatrains et 2 tercets. Les rimes sont embrassées, suivies puis croisées dans le dernier tercet. Les rimes sont riches et l'alternance entre rimes masculines et féminines est respectée. Ce poème s'intègre donc dans la forme classique du sonnet telle que Ronsard l'a définie au 16e siècle.
Paul Verlaine déçu par les amours terrestres se fait une idée de ce qu'il attend de l'amour et d'une femme. Verlaine n'a pas trouvé la femme qu'il cherche, il l'imagine alors, immatérielle et idéalisée. C'est le fantasme de la femme parfaite.